Loïc Santschi: itinéraire d'un champion en menuiserieGrand entretien

  • Main d'oeuvre et compétivité

En septembre passé, le menuisier Loïc Santschi a remporté une médaille d’excellence pour sa cinquième place aux WorldSkills de Lyon. Le Chaux-de-Fonnier a porté haut les couleurs du Canton de Neuchâtel en défiant 18 autres professionnels de la menuiserie du monde entier. Dans un grand entretien, Loïc revient sur son expérience à Lyon, mais aussi sur ses choix professionnels. Il parle aussi de son avenir. Il s’exprime enfin sur l’importance de l’apprentissage. Son témoignage est agrémenté de photos prises par le team des SwissSkills.

Loïc, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Depuis mon premier jour, je vis à la ferme du sommet de Pouillerel, à 3 km de La Chaux-de-Fonds. Cette ferme neuchâteloise a été construite en 1663. Elle est située en pleine campagne à 1200 m d'altitude, entourée de prairies et de pâturages boisés typiques du Jura. J’y vis avec mes parents et avec ma petite sœur. J’ai suivi l’école obligatoire au Numa-Droz de La Chaux-de-Fonds. J’ai ensuite effectué mon apprentissage au CPMB de Colombier (aujourd’hui CPNE Pôle Bâtiment et Construction). Je viens de terminer mon second apprentissage d’agriculteur au CPNE de Cernier. Comme sports, je pratique le ski de piste et le Unihockey. Dans la vie, j’aime relever les défis et je déteste la monotonie.
 

Pourquoi avoir choisi le métier de menuisier ? 
Transformer des morceaux de bois brut pour en faire ensuite un meuble. Qu’y a-t-il de plus beau? Le métier de menuisier est très varié. Certes c’est manuel ! Mais la part de travail technique et créatif est très importante, surtout lorsqu’on fait du sur-mesure. A l’âge de 10 ans, je savais déjà que je voulais devenir menuisier.

Comment s’est déroulé l’apprentissage ? 
Mes formations théorique et pratique (CIE) se sont bien déroulées. J’étais tellement motivé et passionné par ce que faisais. Mon entreprise formatrice me faisait confiance et m’accordait une belle marge d’autonomie. Gérer des projets de A à Z m’a toujours "emballé". Gagner la satisfaction du client en lui remettant un objet correspondant à ses attentes, ça m’a toujours enthousiasmé. Par contre, j’avoue que le travail répétitif lié à la réalisation de grandes séries me "branche" moins.

Quelles sont les personnes qui t’ont permis de progresser dans ton métier de menuisier ? 
De mon formateur en entreprise à mes enseignants à l’école professionnelle, en passant par certains clients, plusieurs ont eu et ont une influence importante sur mon développement personnel. Pour m’améliorer, j’ai toujours veillé à écouter, à observer et à comprendre. Selon les personnes, les manières de travailler diffèrent. J’essaie de tirer le meilleur.

Après ta formation de menuisier, tu as effectué une nouvelle formation. Celle d’agriculteur. Quelles en ont été les motivations ?
Je suis fils d’agriculteurs. J’ai toujours apprécié de travailler dans la nature avec le bétail. La mécanisation est un challenge que j’aime relever. Être agriculteur, c’est aussi tendre vers l’indépendance. Mes compétences acquises en menuiserie sont très utiles pour l’entretien des bâtiments de notre exploitation. Le travail de menuisier est bienvenu pendant les périodes creuses de l’hiver, par exemple.

Qu’est-ce qui t’a motivé à participer aux SwissSkills ? Qu’est-ce que tu en as retiré ?
Incontestablement, le goût du défi et l’envie de pousser mes limites le plus loin possible. Sortir de ma zone de confort ne me fait pas peur. Grâce aux SwissSkills, j’ai amélioré ma capacité d’organisation et ma résilience; j’ai gagné en compétences professionnelles, en efficacité ; je gère mieux mon stress. En gagnant une médaille d’or de menuisier et une de bronze en ébénisterie, j’ai obtenu mon sésame pour les WorldSkills. J’ai aussi pu nouer plein de contacts et élargir mes réseaux. A 19 ans, ce sont des belles opportunités qui se sont offertes à moi.

Était-ce évident de participer ensuite au WorldSkills ? Ou as-tu dû te laisser convaincre ? 
Lorsqu’on gagne les SwissSkills, on a l’obligation ensuite de participer aux WorldSkills. Participer aux WorldSkills n’était vraiment pas en but en soi. Avec une médaille d’or autour du cou, je me suis laissé convaincre qu’il s’agissait là d’une formidable opportunité. Je me suis alors dit : « Loïc ! Joue ta carte à fond. Tu dois en retirer un maximum ! ». 

Pour te préparer aux WorldSkills, quels "sacrifices" as-tu dû faire? 
C’est simple. Les WorldSkills, ce sont 6 mois de préparation intense, à raison de 40 à 60 heures par semaine. On se prépare comme un sportif de compétition. On surveille son alimentation, on limite ses sorties, on se prépare physiquement ; mentalement on se forge ; on ne prend plus de risques inutiles. J’ai appris l’artisanat d’élite (rires). Financièrement, j’ai dû aller chercher des fonds pour financer une période d’inactivité professionnelle et de préparation à un concours de haut niveau. J’ai dû aussi acquérir du matériel et de l’outillage. J’exprime toute ma reconnaissance à l'ANECEM (Association Neuchâteloise des Entreprises de Charpente, Ebénisterie et Menuiserie), à la FRECEM (Fédération Romande des Entreprises de Charpenterie, d'Ébénisterie et de Menuiserie) et au SFPO (Service des formations postobligatoires et de l'orientation), mais aussi à l’UBS et aux SwissSkills Supporter Club. Des particuliers m’ont aussi soutenu. Quand les gens te font autant confiance, tu ressens quand même une certaine pression. 

Que t’a appris ton coach Roger Huwiler dans la préparation des WorldSkills? 
Roger, c’est un professionnel, une pointure. Il m’a donné des conseils utiles notamment logistiques et administratifs. Participer à un concours, c’est aller chercher des points. Roger Huwyler m’a efficacement coaché. Avec lui, j’ai appris à gérer le temps, à recourir aux techniques de travail les plus rapides et les plus précises ainsi qu'à interpréter correctement et rapidement un plan. M’adapter à toutes les situations m’a aussi été inculqué par Roger.

En faisant partie de l'équipe nationale pour les WorldSkills, qu'as-tu appris? 
C’est une magnifique expérience. J’ai eu le bonheur de faire partie d’une délégation de professionnels venant de toute la Suisse. Nous étions 45 venant d’autant de corps de métiers. Nous avons développé un esprit d’équipe fort. J’ai aussi appris à me préparer mentalement. L’infrastructure autour d’une équipe nationale est impressionnante. Les réunions du team, la cérémonie d’ouverture, le concours sur quatre jours, la soirée suisse avec la délégation neuchâteloise et tous mes proches et la cérémonie de clôture resteront des souvenirs inoubliables. J’ai également appris à parler aux médias et… même à défiler sur une scène avec un drapeau suisse sur les épaules lors de la cérémonie de clôture. C'était vraiment top!

En allant à Lyon aux WorldSkills, quel était ton rêve ? Le classement obtenu a-t-il correspondu à ton feeling ? Par quels états d’âme es-tu passé ?
Forcément, je suis parti à Lyon pour ramener une médaille d’or… comme les autres 1400 compétiteurs issus de plus de 70 pays et régions. C’est le rêve de chacun, quand on participe à une compétition. Avec du recul, avoir obtenu la cinquième place et avoir décroché un médaillon d’excellence constituent de très belles satisfactions. Donner le meilleur de moi-même a finalement été le plus important ! Et j’ai la conviction de l’avoir fait.

En ce qui concerne mon feeling à la fin de l’épreuve, j’ai eu le sentiment que le Chinois, l’Allemand et l’Anglais allaient me dépasser. Par contre, je sentais que ça allait être serré avec le Français. A un tel niveau, ça se joue sur de tout petits détails. 

Participer à un tel concours et défier les meilleurs professionnels de 18 autres pays, c’est avoir des hauts et des bas, faire face à des imprévus et apprendre à ne pas se laisser déconcentrer. J’ai eu mes moments de stress, de doutes et de frustrations. Evoluer dans cet environnement a été stimulant. J’ai quand même pu apprécier le moment présent, malgré la constante pression.

As-tu pu échanger avec tes adversaires ? As-tu vu leurs travaux ? 
Dans la limite de nos langues, nous avons eu des échanges courtois. Un coup d’œil, un sourire, une tape sur l’épaule, une poignée de mains… Nous étions tous sur la même barque.  J’ai pu voir les autres travaux. Certains étaient vraiment très intéressants.

Quelle est la différence fondamentale entre les SwissSkills et les WorldSkills ?
On change quand même de ligue ! Il y a beaucoup plus de pression. Les travaux se font plus rapidement et plus précisément. On affronte les champions de chaque pays. Les exigences sont beaucoup plus élevées. Pour les WorldSkills, on développe un réel esprit d’équipe. Ce sont quand même les championnats du monde des métiers !

Quels sont les trois premiers souvenirs que tu retiendras à jamais de ton expérience des WorldSkills?
Le sentiment du devoir accompli juste après le coup de sifflet final, l’esprit d’équipe, le respect des adversaires malgré la compétition

Quelles ont été les retombées des WorldSkills depuis ton retour dans le Canton de Neuchâtel?
Au niveau médiatique, j’ai vraiment eu mes moments de gloire (rires). Depuis mon retour de Lyon, on me rappelle souvent ma performance aux WorldSkills.  Je suis en train de reprendre une vie  plus ou moins normale auprès des miens. Et ça, ça fait vraiment du bien !

Quels sont les avantages à faire un apprentissage ? 
Avoir un accès au monde du travail et mettre directement en pratique les connaissances théoriques, voilà les deux gros avantages d’un apprentissage.

Que penses-tu du système suisse de la formulation duale ?
Notre système de formation duale est très performant. Aux WordSkills, l’équipe de suisse a terminé au troisième rang mondial derrière la Chine et la Corée. Elle a été la meilleure nation européenne. Notre système suisse de formation professionnelle y est certainement pour quelque chose. L’apprentissage offre beaucoup d’avantages aux jeunes et à leurs entreprises formatrices.

Selon toi, les SwissSkills et les WorldSkills permettent-ils de booster la formation duale ? 
Il s’agit d'excelllents vecteurs de communication pour promouvoir le système suisse de formation professionnelle et pour motiver les jeunes à pousser le plus loin possible leurs limites. C’est également un bon moyen de mettre en avant les métiers et de valoriser les savoir-faire  de chacun d’eux. Tout apprenti participant à un championnat des métiers devient un ambassadeur et sert d’exemple pour les autres. Ça ne peut être que stimulant.

Connais-tu de beaux exemples de personnalités ayant passé par un apprentissage et qui devraient être encore plus être mis en avant ?
L’exemple le plus parlant pour moi c’est le Conseiller fédéral Guy Parmelin, qui a débuté par un CFC d’agriculteur-viticulteur. C’est bien la preuve que l’apprentissage ouvre toutes les portes. Evidemment, il faut faire preuve de motivation et d’engagement.

Quel est ton avenir à court terme ?
Je vais faire mon service militaire long. Je serai chauffeur poids lourds à la caserne de Drognens. "J’attaque" au mois de janvier 2025. Je me réjouis de cette nouvelle expérience sous les drapeaux.

A moyen et à long terme qu’envisages-tu de faire professionnellement?
Je n’exclus pas de faire un brevet. Être indépendant me motive. Ouvrir ma propre menuiserie et reprendre l’exploitation familiale font partie de mes plans. L’important est d’avoir un job dans lequel on se réalise et qui permet de vivre convenablement. 

Le duo Santschi & Huwiler, un team d'enfer pour les WorldSkills 2024 à Lyon (photo SwissSkills)
Cérémonie d'ouverture. Loïc tout ému de porter le drapeau et les couleurs de son pays. (photo SwissSkills)
Loïc pendant les épreuves. Sous la pression constante du temps. (photo SwissSkills)
Loïc pendant les épreuves. Chaque détail compte. C'est la course aux points. (photo SwissSkills)
Fin de l'épreuve! La délivrance pour Loïc! (photo SwissSkills)
Impressions à chaud, une fois l'épreuve terminée. (photo SwissSkills)
Soirée suisse à Lyon: Loïc avec la délégation neuchâteloise. Dress code: le SOURIRE (photo SwissSkills)
Cérémonie de clôture. A Lyon, dans la Ville des Lumières, les compétiteurs sous les feux de la rampe. (photo SwissSkills)
Cérémonie de clotûre: Loïc très à l'aise sur un podium! (photo SwissSkills)
Au Palais fédéral, les 5 Romands de la NationalTeam des SwissSkills, quelques semaines après les épreuves à Lyon (photo SwissSkills) ▪️Loïc Santschi, La Chaux-de-Fonds (NE), Menuisier CFC, Skill Joinery | Robin Taramarcaz, Chamoille (VS), Carrossier-tôlier CFC, Skill Autobody Repair | Matthieu Brun, Genève (GE), Bijoutier CFC, Skill Jewellery | Marc Gay, Martigny (VS), Spécialiste en restauration CFC, Skill Restaurant Service | Philippe Dourassov, Rolle (VD), Skill Cyber Security
 Où est Loïc Santschi? Il était une fois l'équipe nationale des SwissSkills pour les WorldSkills de Lyon 2024!

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