RHT et droits de douane américains Valérie Gianoli, cheffe du Service de l'emploi (SEMP), donne des conseils très précieux pour recourir aux RHT

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    Depuis le 1er août, les appels sont nombreux pour encourager les entreprises, concernées par les droits de douane, à déposer des demandes de RHT. Valérie Gianoli, Cheffe du Service de l’Emploi, rappelle les principes essentiels de l’outil des RHT et donne des recommandations pratiques pour optimiser son utilisation. Au talon de cet interview, nous revenons sur quelques fondamentaux à considérer attentivement par les entreprises recourant aux RHT.

    En quelques mots, pouvez-vous décrire la mesure RHT ?
    La RHT est une mesure de régulation conjoncturelle tout à fait extraordinaire dès lors qu’elle soutient aussi bien les entreprises que les travailleur-ses. Depuis son introduction, l’efficacité de ce dispositif a régulièrement été démontré; il a permis de pérenniser l’empreinte industrielle de la Suisse et de préserver la richesse de ses compétences.

    La loi sur l’assurance-chômage (LACI) prévoit le versement d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) afin de préserver les emplois lors de difficultés économiques temporaires. Ce mécanisme permet à un employeur de réduire, partiellement ou totalement, le temps de travail de ses salarié-es tout en évitant des licenciements. L’assurance-chômage prend alors en charge une partie de la perte de gain - généralement 80% du salaire perdu - pour les heures non travaillées, et ce pendant une période limitée. L’entreprise doit obtenir une autorisation préalable des autorités cantonales et démontrer que la baisse d’activité est due à des causes économiques inévitables et passagères et qu’elle induit une perte de travail.

    Quelles sont les vertus des RHT pour les entreprises?
    Les RHT sont avant tout un outil économique de stabilisation, permettant aux entreprises de préserver leurs compétences clés et leur capacité de production pendant un ralentissement temporaire de l’activité. L’objectif est d’éviter des licenciements coûteux et une perte de savoir-faire, afin que l’entreprise puisse rebondir rapidement lorsque la conjoncture s’améliore.

    Qu’est-ce qu’une perte de travail au sens des RHT ?
    C’est une réduction temporaire du volume de travail disponible, quantifiée en heures et non uniquement en perte financière. Elle doit être inhabituelle, inévitable, et justifiée par des éléments économiques précis : baisse de commandes, annulations de contrats, retards d’approvisionnement ou fluctuations de la demande sur les marchés d’exportation.

    Quelles sont les conditions d’octroi des RHT ?
    Pour bénéficier des RHT, l’entreprise doit démontrer une perte de travail telle qu’évoquée plus haut, temporaire (mesurable en heures) et directement liée à des facteurs économiques ou conjoncturels (baisse de commandes, annulations de contrats, retards d’approvisionnement, etc.). La baisse doit être inhabituelle, inévitable et indépendante de la volonté de l’employeur. L’entreprise doit également assurer que la situation est temporaire et qu’elle dispose d’un plan pour reprendre son activité normale.

    Peut-on déposer un préavis “par précaution” ?
    Non. Il est essentiel que l’entreprise puisse démontrer une perte de travail mesurable et directement liée à la conjoncture ou encore, dans le contexte actuel, aux droits de douane. Un dépôt “par précaution” sans éléments factuels et concrets sera refusé. Nous encourageons fortement l’anticipation, en créant un compte sur Job-Room, en surveillant ses carnets de commandes, ses cycles de production ou ses prévisions d’exportation afin de préparer une demande avant que la situation ne devienne critique.

    Cette mesure est-elle seulement prévue pour un certain type d’entreprises ?
    En principe, aucun domaine d’activité n’est exclu de cette mesure. Du moment que les conditions d’octroi sont réunies, des indemnités en cas de RHT peuvent être octroyées indépendamment du type ou de la taille de l’entreprise qui les sollicite. Toutefois, cet outil a été créé principalement pour pallier les pertes de travail subies dans les domaines industriels, respectivement dans les domaines où des baisses de commandes impliquent des pertes de travail temporaires.

    On entend parfois que les RHT ne concernent pas les entreprises des arts & métiers ? Mythe ou réalité ?
    Il s’agit d’un mythe. Néanmoins, de par la nature de certaines activités, les conditions d’octroi peuvent être plus difficilement remplies, en particulier si le motif invoqué par l’entreprise est un risque normal d’exploitation.

    Autre affirmation souvent martelée : « pour des petites entreprises de 5 à 10 collaborateur-rices, les RHT ont peu d’utilité ? ». Qu’en est-il ?
    Ce mécanisme apparaît tout aussi pertinent, si ce n’est même plus, pour une PME que pour une entreprise de plus grande taille. Les indemnités RHT ont pour objectif de maintenir les emplois et d’éviter les licenciements. Cela permet aux travailleur-ses de conserver leur travail en bénéficiant des avantages qui en découlent et aux entreprises de conserver leur main-d’oeuvre, respectivement leur savoir-faire.

    Il a été annoncé qu’il était possible de percevoir des indemnités de RHT au motif de droits de douane pénalisants. Comment les entreprises doivent-elles démontrer qu’elles sont impactées ?
    Le SECO considère que les pertes de travail directement ou indirectement liées aux nouveaux droits de douane font partie des risques jugés extraordinaires et imprévisibles. Ils peuvent ainsi constituer un motif valable d’introduction de la RHT. L’octroi des indemnités de RHT reste cependant soumis au respect des autres conditions prévues par la LACI. Chaque situation doit donc faire l’objet d’une analyse individuelle. L’entreprise doit démontrer, par des éléments concrets (par ex. des baisses de commandes, des pertes de clients américains, …), en quoi elle est directement ou indirectement affectée par les droits de douane américains. Elle doit également fournir des pièces justificatives permettant d’attester cette situation. Seul l’examen au cas par cas permet d’établir le droit à l’indemnité.

    Comment les entreprises doivent-elles s’y prendre pour déposer une demande d’indemnités en cas de RHT ?
    Pour déposer une demande, les entreprises doivent remplir le formulaire de préavis disponible en ligne sur le site http://www.travail.swiss, rubrique indemnité en cas de RHT. Attention, la demande doit être formulée en respectant un délai de préavis de 10 jours. En d’autres termes, une entreprise doit déposer son préavis au moins 10 jours avant la date à partir de laquelle elle souhaite bénéficier d’indemnités en cas de RHT. Si ce délai n’est pas respecté, le début du droit à l’indemnité sera reporté dans la même mesure que celle du retard.

    Afin de pouvoir déposer un préavis en cas de besoin, il faut s’enregistrer en ligne sur le site susmentionné, respectivement la plateforme Job-Room, afin d’obtenir les identifiants de connexions. Une fois en possession de ces informations, les entreprises seront en mesure de déposer un préavis rapidement, en tout temps. Les formulaires de demande sont également disponibles en ligne, sur le même site.

    À quoi faut-il être particulièrement vigilant lorsque l’on demande des RHT ?
    Pour obtenir des indemnités RHT, l’entreprise doit démontrer une perte de travail effective causée par les droits de douane américains ou d’autres motifs, par ex. telle qu’une baisse concrète des commandes. Une simple référence aux droits de douane ne suffit pas à justifier un droit à la RHT.
    Nous conseillons aux entreprises d’indiquer notamment dans le préavis :

    • L’appartenance à une branche
    • Le groupe de marchandises concerné par les droits de douane
    • L’état du carnet de commandes, respectivement sa diminution

    Seules les pertes de travail clairement liées à des facteurs conjoncturels et/ou ces droits de douane peuvent justifier la RHT.

    Il se dit qu’il est très compliqué de remplir les formulaires. Qu’en est-il ?
    Déposer un préavis d’indemnités en cas de RHT n’est pas compliqué, d’autant plus qu’il peut l’être en ligne. Il nécessite néanmoins de l’entreprise qu’elle récolte les informations demandées afin de démontrer en quoi elle subit une perte de travail. Le Canton et le SECO veillent à ce que l’outil RHT, financé par les entreprises et les travailleur-ses, soit utilisé conformément aux conditions prévues par le cadre légal et les directives fédérales.

    Le Service de l’emploi se tient à disposition des entreprises qui souhaiteraient obtenir des renseignements à ce sujet. Le SECO fournit également un soutien en cas de difficultés techniques que les entreprises pourraient rencontrer lors de l’inscription ou du dépôt de la demande en ligne sur la plateforme Job-Room.

    Comment maximiser ses chances d’acceptation ?
    En préparant un dossier clair et documenté, démontrant la baisse d’activité liée à des facteurs conjoncturels, aux taxes et avec des indicateurs concrets. Une demande anticipée, basée sur un suivi régulier des indicateurs économiques clés et des justificatifs, augmente significativement les chances de validation et réduit les délais de traitement.

    Quelles mesures d’assouplissement pourraient être introduites en matière de RHT ?
    Des aménagements sont actuellement en discussion, comme par exemple prolonger le droit aux indemnités en cas de RHT de 18 à 24 mois, ou encore porter à 6 mois - au lieu de 3 actuellement - la validité des autorisations afin de simplifier les démarches administratives nécessaires à l’octroi de la RHT. Il appartient aux instances fédérales de se prononcer sur ces possibilités.

    Nombreuses sont les voix qui demandent de rallonger les délais de RHT ? Quel est votre avis sur le sujet ?
    De par la structure du tissu économique du Canton de Neuchâtel, nous dépendons dans une très grande mesure des exportations, raison pour laquelle les barrières posées en matière d’accès au marché américain, qui représente un partenaire majeur, doivent être fermement combattues et leurs conséquences atténuées au maximum.

    Les autorités cantonales et le Service de l’emploi sont favorables à toutes les mesures susceptibles de soutenir les entreprises de notre écosystème, mises en difficulté en raison des droits de douane américains. In fine, ce sont des personnes qui sont impactées, aussi bien des entrepreneurs qui se sont engagés avec énergie, que des employé-es qui déploient des compétences, tous au service du succès de leurs activités.

    Au terme du délai-cadre, la loi prévoit-elle la possibilité d’ouvrir un nouveau délai-cadre ?
    Oui, il est possible d’ouvrir immédiatement un nouveau délai cadre, lequel permet d’obtenir 18 périodes d’indemnités, pour autant que les conditions d’éligibilité soient remplies.

    Quels derniers conseils donnez-vous aux entreprises qui veulent bénéficier des RHT ?
    Nous conseillons aux entreprises de se tenir prêtes à déposer immédiatement une demande de RHT dès les premiers signes d’une perte de travail imminente. Pour cela, il est recommandé de créer dès maintenant un compte sur la plateforme Job-Room, ce qui permettra de soumettre la demande en ligne sans délai.

    Il est également pertinent de prendre connaissance du formulaire à remplir afin de pouvoir préparer les données et autres documents à fournir.

    Enfin, nous encourageons la conservation systématique de toute preuve (échanges avec des clients américains ou avec des entreprises suisses impactées par ces taxes) attestant d’annulations, de reports ou de diminutions de commandes. Cette préparation proactive facilitera la constitution d’un dossier solide et augmentera les chances d’acceptation.

    Après avoir reçu une décision concernant la demande de RHT, nous insistons sur l’importance de prendre connaissance de l’intégralité de celle-ci et de ne surtout pas hésiter à contacter le service de l’emploi en cas de question ou pour tout besoin d’éclaircissement.

    Le service de l’emploi se tient à disposition pour renseigner et appuyer les entreprises dans ces démarches.

    (Photo de Valérie Gianoli :© Sven de Almeida)

    Autres liens

    RHT en lien avec les droits de douane américains

    http://www.travail.swiss, rubrique indemnité en cas de RHT

    Job-Room

    Les RHT peuvent être demandées pour toute l’entreprise ou pour un ou plusieurs secteurs d’exploitation, pour autant qu’il constitue une entité organique, munie de ses propres ressources en personnel et en équipements et qui relève d’une direction autonome au sein de l’entreprise ou fournit des prestations qui pourraient être fournies et offertes sur le marché par des entreprises indépendantes.

    N’ont notamment pas droit aux indemnités RHT : 

    • les salariés qui fixent ou peuvent influencer considérablement les décisions prises par l’employeur, que ce soit en qualité de membre du conseil d’administration d’une S.A., d’associé dans une S.à.r.l, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière, ainsi que les conjoints et les partenaires enregistrés de ces personnes lorsqu’ils sont occupés dans l’entreprise.
    • les travailleurs dont la perte de travail ne peut être établie ou dont l’horaire de travail n’est pas suffisamment contrôlable.
    • les salariés dont le rapport de travail a été résilié.

    Une perte de travail n’est pas prise en considération notamment lorsqu’elle touche des personnes qui ont un emploi d’une durée déterminée, sont en apprentissage ou au service d’une organisation de travail temporaire.

    La perte de travail n’est prise en considération que si, au cours de chaque période de décompte, elle atteint au moins 10% de l’ensemble des heures qui devraient être effectuées par les travailleurs de l’entreprise ou du secteur d’exploitation reconnu. Pour prouver cette perte de travail, les heures travaillées doivent être enregistrées et les décomptes d’heures conservées en vue d’un éventuel contrôle. 

    L’employeur doit prendre en charge un jour d’attente par période de décompte

    L’employeur doit continuer à payer entièrement les cotisations aux assurances sociales prévues par les dispositions légales et contractuelles (AVS/AI/APG/AC, assurance-accidents, allocations familiales, prévoyance professionnelle, etc.) comme si la durée de travail était normale (= 100% du salaire).

    La durée de travail n’est réputée réduite que si elle n’atteint pas la durée normale du travail, une fois additionnées les heures en plus. Comptent comme heures en plus les heures payées ou qui n’ont pas été payées excédant le nombre d’heures à effectuer selon l’horaire de travail contractuel.

    Un délai-cadre d’indemnisation de 2 ans est ouvert le premier jour de la première période de décompte pour laquelle l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail ou l’indemnité en cas d’intempéries est versée. 

    • Si aucun délai-cadre d’indemnisation ne court pour l’entreprise ou le secteur d’exploitation au moment de l’introduction de la réduction de l’horaire de travail admise, les heures en plus accomplies par les travailleurs au cours des 6 mois précédents seront déduites de leur perte de travail. 
    • Pendant le délai-cadre d’indemnisation, les heures en plus accomplies par les travailleurs avant une nouvelle réduction de l’horaire de travail, mais au plus pendant les 12 derniers mois, seront déduites de leur perte de travail

     

     

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