Philippe Nell formule de nouveaux espoirs sur les négociations de la Suisse avec l'Union européenneSon dernier livre vient de sortir de presse

    • Au coeur de l’économie

    Philippe G. Nell est un ami de la CNCI. Depuis les années 90, il intervient lors des cours d’exportation organisés par la Chambre. Son expertise en impose. Son parcours impressionne. En effet, Philippe G. Nell est diplômé des Universités de Fribourg (licence en économie), de Carleton à Ottawa (Master en affaires internationales) et de Denver (Master et Ph.D en études internationales). Il est également Privat Docent de l’Université de Fribourg. Entré au service de la Confédération en 1985, il a consacré sa carrière à la politique économique extérieure suisse en participant très activement aux négociations sur l’Espace économique européen dans un poste clé au niveau des chefs négociateurs. Il a accumulé une grande expérience sur le terrain dont il a fait bénéficier pendant 23 ans les étudiants de l’université de Bâle étant également invité actuellement chaque année dans celles de Fribourg et de Lausanne. Il est Ambassadeur honoraire, vice-président de l’Association « La Suisse en Europe » et membre du Conseil de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe. Aujourd’hui Philippe Nell publie son nouveau livre « Négociations avec l’Union européenne - Regard critique sur deux grands échecs et nouveaux espoirs ». A Neuchâtel, au terme de l’Assemblée générale de la CNCI, il répond sans filtre à nos questions.

    Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire « Négociations avec l’Union européenne - Regard critique sur deux grands échecs et nouveaux espoirs ». Depuis quand planchiez-vous sur le projet ?

    Le déclic s’est produit le 6 décembre 2022, invité à parler lors d’un séminaire marquant le 30ème anniversaire du rejet par la Suisse de l’Accord sur l’Espace économique européen (EEE). J’ai mis face à face deux échecs : l’EEE et l’accord institutionnel. Le livre était né en moi ! Il ne restait plus qu’à l’écrire !

    J’avais été fortement choqué par la rupture abrupte des négociations en mai 2021. Le Conseil fédéral avait été sérieusement critiqué. J’ai voulu identifier les vrais responsables. Depuis longtemps, je rêvais de fermer la boucle entre l’EEE, l’accord institutionnel et finalement l’approche par paquet. C’est fait ! 

    La date de sortie du livre tient-elle d’un hasard du calendrier ? 
    Le livre était terminé il y a une année. Le programme des Editions Slatkine était cependant complet pour 2024. J’ai patienté et j'ai vu juste, car les négociations ont été conclues en décembre. J’ai alors travaillé sans relâche pour intégrer les résultats et montrer toutes les améliorations. Le livre est sorti en librairie deux jours après la finalisation officielle des accords. Il est le premier sur le marché présentant l’ensemble réalisé. «  Timing » parfait !

    Quelle est la structure de votre livre ? A qui est-il destiné ? Que devrait en retirer votre lecteur ?
    La structure est simple. Un fil conducteur conduit des premiers pas de l’intégration européenne à la fin des années 1940 à l’EEE et son échec, à la demande d’adhésion à la CE et à son retrait en passant par les accords bilatéraux I et II, au processus de l’accord institutionnel et au bouquet final avec le paquet d’accords de décembre 2024. 

    Mon livre est destiné à tout un chacun et n’utilise pas de termes techniques. Président de la Confédération en 2004, Joseph Deiss fait de même dans la préface avec sa plume tranchante et sans complaisance pour une Suisse assise entre deux chaises en Europe.

    Le lecteur devrait constater premièrement que l’UE peut devenir un partenaire très dur et que la Suisse ne peut pas gagner à ce jeu-là. Deuxièmement, l’érosion des accords bilatéraux de ces dernières années affecte négativement notre économie. Troisièmement, avec la guerre en Ukraine et la lutte entre blocs pour l’hégémonie technologique, l’UE s’est rendue compte qu’elle devait rassembler toutes les forces en Europe. Elle a accepté d’accommoder des principes importants pour créer un modèle unique taillé sur mesure pour la Suisse. C’est à nous de choisir. Il n’y aura plus de « reset ». Il faudra réussir.

    En quoi le nouveau paquet d’accords est-il une amélioration substantielle par rapport à l’accord institutionnel ?
    Dans le domaine sensible de l’immigration, la Suisse a obtenu des exceptions au droit de l’UE répondant à ses préoccupations concernant l’expulsion de criminels, des recours abusifs à l’assistance sociale et à l’assurance chômage et les conditions d’établissement pour les activités de courte durée. Pour freiner l’immigration si nécessaire, la Suisse a aussi obtenu une nouvelle procédure concernant un mécanisme appelé « clause de sauvegarde ». Ecueil majeur, cette question a été résolue dans la dernière ligne droite comme c’est souvent le cas dans des négociations de grande ampleur.

    La Suisse est également parvenue à circonscrire clairement les domaines tombant sous les nouvelles dispositions institutionnelles. Par exemple, l’accord de libre-échange de 1972 a pu être totalement écarté. Ceci est important pour l’agriculture et certains domaines des services bénéficiant de subventions.

    La Suisse a pu ajouter dans la foulée trois accords recherchés depuis plus de 15 ans couvrant l’électricité, la sécurité alimentaire et la santé. Elle a aussi pu ancrer juridiquement la recherche avec Horizon Europe, les échanges d’étudiants avec Erasmus et d’autres domaines de coopération. Ceci est très important pour l’avenir du pays.

    Quelles leçons tirez-vous des échecs des négociations passées qui pourraient aider à réussir les négociations qui s’annoncent ?
    Il y aurait beaucoup à dire. Il faut tenir compte de nombreux éléments. Mon dernier chapitre tire 30 leçons de négociations avec 90 cas qui seront utiles tant pour le secteur privé que public.   

    Vous anticipez une bataille politique plus passionnée qu’en 1992. Pour quelles raisons ?
    En 1992, l’UDC était le plus petit parti gouvernemental. Aujourd’hui, il est le plus grand. Son influence au Parlement par le biais des interventions et des commissions est devenue considérable. Il est férocement opposé au rapprochement actuel avec l’UE. Tels les partisans du Brexit en 2016, il n’offre aucune alternative. Les courants nationalistes et populistes ont beaucoup gagné de terrain partout au XXIème siècle.  La bataille pour le référendum sera intense. Le camp des opposants dispose de moyens financiers considérables pour diffuser ses slogans. Il sera nécessaire de s’engager avec détermination et conviction.

    Quelles sont les menaces qui planent sur le dossier Suisse-UE ?
    Il y a plusieurs menaces. Une confusion avec une adhésion à l’UE savamment orchestrée par les opposants. Des slogans négatifs répandant la crainte et masquant la réalité des faits. Un débat lourd au Parlement avec un niveau d’approbation modéré. Un soutien pas suffisamment affirmé des syndicats et de l’Union suisse des arts et métiers. L’exigence d’une double majorité du peuple et des cantons lors du référendum. Des crises au sein de l’UE. Un engagement faible du Conseil fédéral. Ce serait regrettable et représenterait un manque flagrant de soutien à l’économie et à la recherche, et, de reconnaissance face au travail énorme de sa propre administration. C’est comme si un entraîneur préparait une équipe à des « play-offs » pour l’abandonner à son sort au moment décisif lorsque ses conseils tactiques et ses encouragements depuis le banc sont essentiels pour obtenir la victoire.

    Quel serait l’apport de l’acceptation de ces nouveaux accords pour les entreprises du Canton de Neuchâtel ? Pour celles actives sur le marché intérieur ? Et pour celles orientées sur le marché extérieur ?
    Les apports seraient significatifs. La reconnaissance par l’UE des tests sur la conformité technique et de sécurité des produits effectués en Suisse serait maintenue évitant des coûts importants. Elle doit être ré-établie pour les dispositifs médicaux et gardée notamment pour les machines. Pour les entreprises orientées tant vers le marché local que vers l’exportation, l’apport de la main d’œuvre de l’UE ne serait plus assuré au niveau actuel. Pour la recherche, tant les entreprises que l’Université de Neuchâtel et les hautes écoles pourraient continuer à prendre part à des programmes de l’UE pour diriger des projets ou comme partenaires. Ce type de réseautage est devenu essentiel aujourd’hui. 

    Et pour le citoyen lambda qu’apporterait la conclusion de ces accords ?
    Le citoyen verrait ses perspectives d’études avec Erasmus, de recherche avec Horizon Europe, d’emploi et de mobilité dans l’UE pour y travailler atteindre le degré le plus élevé.

    Que pensez-vous de la stratégie du Conseil fédéral par rapport à la communication sur le dossier ?
    On ne négocie pas sur la place publique. Contrairement à l’EEE qui était devenu un roman feuilleton alimenté par les hauts et les bas de chaque réunion des chefs négociateurs, l’approche par paquet a été mise sous toit derrière des portes closes. Ainsi, personne ne perd la face envers l’extérieur lorsqu’il faut lâcher du lest. 

    Le Conseil fédéral a diffusé d’excellents documents présentant clairement les avancées à divers moments avec l’état des relations Suisse-UE (décembre 2022), le rapport sur les discussions exploratoires et le projet de mandat de négociation (décembre 2023) ainsi que les résultats lors de sa consultation sur le mandat (mars 2024), puis, le paquet final (décembre 2024).

    L’absence d’euphorie le 20 décembre 2024 lors de la conférence de presse annonçant la conclusion des négociations peut s’expliquer par la longue route pour franchir les prochaines étapes et le besoin de trouver un terrain d’entente entre les syndicats et le patronat sur le thème de la protection des salaires avec des mesures d’accompagnement sur le plan interne. N’oublions pas que l’absence d’un tel accord a largement contribué à l’abandon de l’accord institutionnel. Ceci est désormais réglé depuis le 21 mars dernier.

    Enfin, la route jusqu’à l’approbation du Parlement (de mars 2026 à la fin de l’année, voire le début de 2027), puis au référendum (2027 ou 2028) est encore très longue. Le Conseil fédéral ne peut pas se lancer dix fois dans la bataille. Il s’agira de choisir les moments clés pour, alors, faire la différence comme Joseph Deiss qui avait multiplié les apparitions publiques dans le mois précédant le vote concernant l’adhésion à l’ONU de 2002. Il faut espérer que le Conseil fédéral jouera son rôle le moment venu et le plus uni possible.

    Quelle influence le contexte géopolitique actuel pourrait exercer sur l’avancée du projet européen ?
    La situation géopolitique mondiale est tendue. Guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, guerre à Gaza, conflits en Afrique, tensions entre le Pakistan et l’Inde, et, dans un autre registre, guerre commerciale des Etats-Unis non seulement avec la Chine, mais aussi avec le reste du monde. Dans ce contexte, la Suisse ne peut plus tergiverser longtemps. Le seul ancrage de stabilité qui lui reste : l’Europe avec l’UE.

    Votre livre contient 400 pages. Où avez-vous trouvé l’énergie pour être aussi exhaustif ? Qu’attendez-vous de cette contribution pour le vaste débat qui s’ouvre ?
    Une bonne santé, une grande volonté, une forte ténacité, une soif de la connaissance et la satisfaction de voir le livre prendre forme m’ont donné toute l’énergie nécessaire. La photo de mes deux formidables petits-enfants sur mon pupitre était aussi une grande source de motivation !

    J’ai aussi voulu pour rendre hommage à trois grands artisans de notre politique d’intégration en leur dédiant mon ouvrage ; je leur serai toujours reconnaissant de m’avoir fait confiance au début de ma carrière pour une fonction très enrichissante directement à leurs côtés dans les négociations de l’EEE. Ma dédicace s’adresse aussi à la nouvelle génération qui pointe à l’horizon et aura pour mission de garder notre prospérité par la solidarité, la compétitivité et la paix.  

    Cette contribution doit amener chacun à comprendre les enjeux de l’approfondissement et de l’extension de nos relations avec l’UE et à assumer ses responsabilités en donnant la priorité à l’avenir de notre magnifique pays.

    Informations sur le livre

    Négociations Suisse - Union Européenne

    Regard critique sur deux grands échecs et nouveaux espoirs

    Philippe G. Nell

    15.5 * 23.5 cm | 400 pages | ISBN : 978-2-8321-1380-6 | CHF 35.-

    Des dédicaces du livre peuvent être obtenues à l'adresse suivante: philippe.nell.1954@gmail.com

    Philippe G. Nell et Florian Németi
    Négociations avec l’Union européenne - Regard critique sur deux grands échecs et nouveaux espoirs
    Philippe G. Nell présente son tout nouveau livre

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