Le 7 novembre 2024, la CNCI et economiesuisse ont organisé un événement intitulé « Bilatérales III : un Must pour les entreprises neuchâteloises ? ». Cet événement a eu lieu au Club 44 de La Chaux-de-Fonds et a réuni une belle brochette de personnalités.
Suite à un préambule de Florian Németi, Directeur CNCI, Quentin Di Meo, Chargé de projets à la CNCI a présenté les résultats d’une étude de la CNCI consacrée aux relations commerciales de la Suisse avec l’étranger. Gabriel de Weck a ensuite interviewé Pascal Couchepin, ancien Conseiller fédéral. Le journaliste de la RTS a enfin animé une table ronde réunissant des représentants du monde économique et politique neuchâtelois : Monika Rühl (Directrice d’economiesuisse), Susanne Jecklin (Vice-présidente EIT.swiss et Directrice de Flückiger Electricité), Damien Cottier (Conseiller national, Président de l’UNAM), Emmanuel Raffner (Président CNCI), Marc Schuler (Managing Director DIXI Polytool S.A. et Vice-Président de Swissmem).
Dans cet article nous revenons sur les messages passé par les uns et les autres au cours de cette soirée.
La voie bilatérale entre la Suisse et l’UE est un sujet qui revient fréquemment dans les discussions et qui suscitera encore des débats animés. Depuis l’arrêt des négociations de l’accord-cadre en 2021, de nombreuses incertitudes ont surgi. Le canton de Neuchâtel étant extrêmement exportateur, une relation fluide et stabilisée avec l’Europe lui est nécessaire. À l'occasion du 25ème anniversaire de la relation bilatérale Suisse-UE, jugée comme très bénéfique pour les deux parties, il importe de dissiper les incertitudes restantes et de conclure de nouveaux accords, à la suite de la reprise des négociations cette année. Un échec des négociations comporterait des risques pour les entreprises du canton. Parmi ces risques se trouvent notamment la recrudescence des contrôles techniques à l’exportation ainsi que les problèmes qui découlent des accords bilatéraux qui s’éteignent progressivement et qui ne sont renouvelables.
En parallèle à l’enquête conjoncturelle de la CNCI, plusieurs questions ont été posées en lien avec les accords bilatéraux III en cours de négociations avec l’UE. Un tiers des membres de la CNCI y ont répondu, ce qui permet de tirer certaines conclusions. Tout d’abord, trois accords bilatéraux ressortent clairement dans les attentes des entreprises neuchâteloises. En tête de liste, l’accord sur la libre circulation des personnes est plébiscité par 71% des répondants, et même 87% pour les entreprises de plus de 100 collaborateurs. Dans un canton largement industrialisé et proche de la frontière, ce résultat n’est pas étonnant. Le deuxième concerne la recherche et la formation avec 64% et 77% pour les grandes entreprises. Finalement, l’accord sur l’électricité est requis par 60% des répondants et 71% pour les grandes entreprises. Là encore, le tissu économique du canton explique ces résultats.
De manière générale, les conséquences pour l’essor économique de la Suisse du prochain paquet d’accords bilatéraux sont jugées positives pour une grande majorité des entreprises. En effet, 63% des entreprises estiment que la signature des nouveaux accords bilatéraux est importante pour le pays. Ce chiffre monte à 80% pour les grandes entreprises.
Dans le canton de Neuchâtel, la main-d’œuvre étrangère est un élément important. Avec ses 16'250 frontaliers, la nécessité de maintenir de bonnes relations avec les pays qui nous entourent n’est plus à démontrer. En cas de rupture ou de restrictions de la possibilité d’engager de la main-d’œuvre étrangère, 40% des répondants indiquent devoir renoncer à des projets et à des affaires et un quart devrait privilégier la sous-traitance à l’étranger. Quant à la question de la délocalisation, 15% des répondants mentionnent qu’elle serait nécessaire pour assurer la pérennité de leur entreprise.
Si la question européenne demeure au centre des préoccupations, 79% des répondants pensent qu’il est également important de renforcer les relations commerciales avec d’autres partenaires. Les USA sont à la première place du classement avec 56% d’avis favorables. Suivent l’Inde avec 51% et la Chine avec 45%.
En conclusion, les résultats correspondent aux attentes naturelles du tissu économique neuchâtelois. Un renforcement des relations bilatérales avec l’UE permettra d’assurer la pérennité des entreprises neuchâteloises, de renforcer leur compétitivité et de maintenir la croissance du pays.
Ancien Conseiller fédéral au moment de la signature des premiers accords bilatéraux, Pascal Couchepin reste toujours très favorable à une relation étroite entre la Suisse et l'UE. Il imagine que, tôt ou tard, la Suisse finira par adhérer à l'UE.
En revenant sur les négociations des premiers accords bilatéraux, Pascal Couchepin rappelle la volonté d’alors d'améliorer la situation du pays après l'échec de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), en décembre 1992. Face à la nécessité de trouver une nouvelle solution, l'idée de négocier des accords bilatéraux avec l'UE a émergé. Cette approche a rencontré un large soutien populaire. Une fois devenu Conseiller fédéral, Pascal Couchepin a accéléré les négociations, ce qui a abouti à la signature des accords. Les syndicats étaient préalablement opposés. Leurs revendications au sujet des accords sociaux ont pu être considérées. Bien que les accords trouvés n’aient pas été parfaits sous tous leurs aspects, ils ont permis une brillante remontée économique, après des années de stagnation en Suisse.
Malgré des chiffres qui plaideraient en faveur du maintien d’un partenariat dynamique avec l’UE, il est difficile de convaincre les citoyens. Pour Pascal Couchepin, le risque majeur est que de trop nombreux détails aient raison de l’objectif principal.
A l’inverse des premières négociations où la population manifestait un soutien à la signature d’accords bilatéraux, les citoyens d’aujourd’hui sont hésitants et frileux. Selon l’ancien Conseiller fédéral, la pénurie de main d’œuvre et la faible démographie démontrent pourtant que ces accords sont essentiels. La presse en fait écho (il prend l’exemple de la NZZ). Pour Pascal Couchepin, ces articles ne feront pas gagner la votation : il faut que le Conseil fédéral adopte une position forte sur ce dossier.
Les opposants à ces accords font valoir des arguments plus politiques qu’économiques, en affirmant que la démocratie suisse est en jeu. L’UE n’a toutefois jamais menacé la souveraineté de la Suisse, contrairement, par exemple, aux Etats-Unis qui ont forcé la Suisse à abandonner le secret bancaire. Avec les accords en cours de négociation, la Suisse conserverait la possibilité de ne pas appliquer certaines normes de l’UE. Il doit utiliser ce droit, quitte à encourir des sanctions. La Suisse conserverait ainsi le choix de conserver sa souveraineté en refusant l’application de certaines normes.
Pour conclure, Pascal Couchepin est convaincu que les Suisses pourront soutenir les bilatérales III. La condition sine qua non est l’engagement d’un Conseil fédéral fort, qui saura mettre en avant les bénéfices globaux de ces accords pour la population et l’économie.
Une partie du tissu économique ne se sent pas concerné par ces accords. Ce constat est logique au vu du grand nombre d’entreprises tournées exclusivement sur le marché intérieur. Lorsque l’on parle des accords bilatéraux, le débat se concentre trop sur la perception de l’Europe en elle-même, plutôt que sur son potentiel et ses opportunités économiques. Pour les grandes entreprises, qui ne vivent pas uniquement dans le microcosme suisse et qui s’ouvrent à l’international, cela est une évidence. Évidence qui est répandue quand on en parle de manière globale mais qui prête à débat lorsqu’on la ramène à soi, souligne Emmanuel Raffner.
Les petites entreprises ne sont, de ce fait, par particulièrement méfiantes envers ces accords mais n’y trouvent pas d’intérêt direct. Elles ont, en revanche, un intérêt indirect massif. Il y a, en effet, un énorme potentiel de production de richesses à la signature d’accords bilatéraux, qui impacterait positivement les PME.
Pour les intervenants à la table ronde, il est donc nécessaire que le Conseil fédéral assume sa responsabilité, qu'il aille de l’avant et qu'il présente clairement le résultat des négociations pour encourager les citoyens à ensuite se déterminer sur le paquet négocié.
En examinant de près la situation des PME, notamment dans l'industrie des microtechniques, le besoin urgent de ces accords débouchant sur un accès au marché européen se fait ressentir. En effet, une très grande partie des biens et services des PME destinés à l’exportation prennent la direction de l’UE. Bien que chaque accord soit utile, que ce soit avec les Etats-Unis, l’Inde ou la Chine, c’est vers l’Europe que les PME se lanceront toujours dans un premier temps, précise Marc Schuler. Cela s’explique assez facilement par la proximité culturelle, mais aussi par la langue partagée avec nos pays voisins ou encore par l’absence de décalages horaires. Les PME se développeront d'abord en exportant vers des marchés proches géographiquement, puis élargiront progressivement leur rayon au fil du temps. Damien Cottier illustre cette réalité en expliquant que la Suisse exporte en réalité majoritairement dans les quatre grands pays voisins et plus précisément dans les régions proches des frontières helvétiques, à l’exception de la France, pays centralisé.
Lorsque l’on se penche sur les priorités des entreprises suisses au sujet de ces accords bilatéraux, l’électricité figure dans le « top 3 ». Il est primordial, dans ce secteur, de ne pas être isolé de l’UE, la distribution de l’énergie étant extrêmement complexe. En outre, la volonté d’avoir une énergie moins dépendante du pétrole nous conduit à avoir une énergie moins stable et cela renforce la nécessité d’une collaboration et d’un accès à l’UE. Susanne Jecklin rappelle qu’il faut regarder le paquet comme un deal ; il y aura des éléments très importants pour la Suisse, mais aussi certains que l’on devra concéder. La Directrice de Flückiger alerte également quant au risque de black-out si la Suisse venait à renoncer à ces accords.
Par rapport à la crainte de l’immigration, il est nécessaire de s’interroger globalement sur ce qui est bon pour le pays. Le parlement suisse a besoin d’entendre que les entreprises requièrent une immigration. Il pourra ensuite rassurer et convaincre la population quant à l’impact de l’application des accords bilatéraux. L’immigration est nécessaire à la croissance de notre économie qui permet une redistribution des moyens. Même dans les pays voisins, il est désormais difficile de débaucher des talents ; ces derniers sont recrutés jusqu’en Ardèche (France) pour des places de travail en Suisse. La situation ne doit pas être considérée comme acquise. Il convient d’exposer les conséquences potentielles en cas d’échec des bilatérales ainsi que les lacunes importantes auxquelles il faudrait faire face.
La pénurie de main d’œuvre signifie non seulement que certaines entreprises doivent renoncer à des projets, mais aussi sous-traiter, voire délocaliser. Cela peut même avoir un impact concret sur la population s’il manque de personnel à l’hôpital ou dans la construction. Selon Monika Rühl, deux sortes de mesures sont envisageables pour pallier la pénurie de main d’œuvre déjà existante ; d’une part, une meilleure utilisation du potentiel indigène, qui passe par la participation plus active des femmes sur le marché du travail ainsi que l’élévation de l’âge de la retraite ; d’autre part, la mise en place de mesures favorisant la productivité du travail. Cela nécessiterait tout de même une immigration de main d’œuvre étrangère, notamment en provenance de l’UE. Il s’agit de mettre les citoyens devant un choix ; soit on accepte une certaine immigration et on maintient les postes de travail, la croissance et le bien-être, soit on y renonce avec le risque que des places de travail ne soient plus pourvues. En ce sens, l'accord sur la libre circulation des personnes est essentiel, car il favorise avant tout l'immigration vers le marché du travail.
La problématique des accords qui s’érodent a également été abordée. Les conséquences les plus significatives se retrouvent dans les dispositifs médicaux ainsi que dans la recherche, ce qui est périlleux pour la Suisse, pays où les cerveaux constituent une réelle matière première. Avoir le lead pour ne pas être relégué au statut « d’état tiers » dans des programmes comme Horizon est important.
Dans cette campagne, la peur est utilisée par tous les opposants ; d’une part l’immigration comme porte ouverte qui ne laisserait plus de place au peuple suisse, et d’autre part, des baisses de salaires.
Marc Schuler observe que les arguments populistes sont utilisés, que l’émotionnel a fait ses preuves en Suisse comme ailleurs. Il ne faudrait pas commettre l’erreur d’être trop cartésiens avec des éléments pas nécessairement compris alors qu’en face un "bête populisme" fonctionne.
Ce n’est pas d’une vision populiste dont le citoyen a besoin, mais d’une vision optimiste. Emmanuel Raffner demande au Conseil fédéral de présenter LE projet à la population et de partager avec elle LA vision pour les 50 prochaines années. Selon le Président de la CNCI, il importe de faire passer un message clair sans trop s’attarder sur les détails, de montrer de l’engagement et de l’émotionnel, tout en restant rationnel et pragmatique. Il s’agit aussi d'examiner les intérêts en jeu. L'état actuel des négociations est excellent, affirme Damien Cottier. A ce jour, une clause de non-régression en matière sociale a été obtenue. Le Président de l’UNAM abonde dans le sens de Pascal Couchepin : la Suisse pourra décider de ne pas appliquer une norme pour protéger sa souveraineté, même s’il y aura des prix à payer.
Contrairement à ce qui pourrait être laissé entendre, la relation avec notre grand voisin n’est pas aussi asymétrique qu'imaginé. Les deux partenaires ne sont certes pas sur un pied d’égalité, mais puisque chacun a besoin de l’autre, cela laisse de la place à la négociation.
Pour Susanne Jecklin, la campagne de la gauche pour les bilatérales n’est pas correcte. Leurs revendications concernant la clause de non-régression ont été entendues puisque cette dernière a été considérée suite à leur demande. Malgré cette avancée, ils continuent de faire du lobbying en utilisant la peur des gens et en agitant le spectre que les salaires seront diminués à cause des bilatérales. Ce risque de sous-enchère salariale n’est pourtant pas fondé. Dans une période où la main d’œuvre manque, toucher aux salaires n’est pas un bon moyen pour une entreprise d’attirer des forces vives.
Finalement, Monika Rühl alerte sur la question de timing ; elle craint, en effet, que le processus prenne trop de temps, que l’on arrive en 2027, année électorale, et que les partis, comme en 2023, se mettent d’accord pour ne pas parler de l’Europe. Si tel était le cas, la votation serait repoussée en 2028, cela lui paraît extrêmement long.
- 7.11.2024: Retour en images sur l'événement dans les locaux du Club 44 au sujet de l'importance des relations bilatérales pour les entreprises neuchâteloises
- 2.12.2024: Communiqué des chambres latines de commerce et d'industrie sur l'importance de la voie bilatérale
- 20.12.2024: communiqué de presse du Conseil fédéral sur la conclusion des accords