Nouvelle loi fédérale sur la lutte contre l’usage abusif de la failliteDès le 1er janvier 2025, les créances publiques des entreprises seront poursuivies par voie de faillite !

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Le Parlement a adopté en mars 2022 la loi fédérale sur la lutte contre l'usage abusif de la faillite qui fixe de nouveaux garde-fous pour empêcher que les débiteurs recourent à la procédure de faillite pour échapper à leurs engagements financiers, comme le paiement de salaires ou le remboursement de dettes, au préjudice de leurs créanciers ou dans un but de concurrence déloyale. Les malversations visées causent chaque année plusieurs centaines de millions de francs de préjudices. C’est dans ce contexte que les créances de droit public seront à l'avenir soumises aux règles générales de la poursuite par voie de faillite. La nouvelle loi qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025 entraine ainsi la modification du code des obligations (CO), de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), du code pénal (CP) et de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct (LIFD). Elle implique aussi une adaptation de l'ordonnance sur le registre du commerce (ORC) et de celle sur le casier judiciaire (OCJ). Ces différents changements auront des conséquences pour de nombreux débiteurs, parfois indélicats. Thierry Marchand, chef du service des poursuites et faillites, répond à nos questions.

Quelle est la différence entre une poursuite par voie de saisie et une poursuite par voie de faillite ?
La poursuite par voie de saisie, dite exécution spéciale, consiste en la mainmise de l'autorité étatique (office des poursuites) sur les biens du poursuivi, à hauteur de la créance en cause, en vue de leur réalisation en faveur exclusive du poursuivant. Les biens saisis peuvent être des objets mobiliers ou immobiliers, ainsi que des créances ou autres droits qui, si le débiteur ne s’acquitte pas de la dette, seront finalement vendus. Le produit de la réalisation sera distribué au créancier poursuivant sous déduction des frais de l’office.
La poursuite par voie de faillite, dite exécution générale, est l’ensemble des opérations par lesquelles l’entier du patrimoine d’un débiteur (masse active), dont l’insolvabilité a été constatée par décision judiciaire (juge de la faillite), est réalisé au profit de tous ses créanciers (masse passive). Celle-ci ne peut concerner que les personnes morales (sociétés ou associations) ou les personnes physiques (raisons individuelles ou associés d’une société en nom collectif) inscrites au registre du commerce. Les personnes non inscrites ne peuvent être poursuivies que par voie de saisie.

Quels types de dettes feront nouvellement l’objet de poursuites par voie de faillite à partir du 1er janvier 2025 (abrogation des alinéas 1 et 1bis de l’art. 43 LP) ?
Il s’agit de toutes les créances de droit public :

  • Impôts (communaux, cantonaux et fédéraux)
  • Taxe déchets
  • TVA
  • Primes de l’assurance accident obligatoire
  • Cotisations des assurances sociales, dont les cotisations AVS dues à des caisses cantonales de compensation (Caisse cantonale de compensation) ou à des caisses de compensation professionnelle et interprofessionnelle (type CICICAM-CINALFA)
  • Etc.

Ces dettes publiques ont été soumises à un régime d’exception depuis l’entrée en vigueur de la LP en 1892, qui prendra ainsi fin au 31 décembre 2024.

Nous le soulignons encore une fois : seules les personnes morales et les personnes physiques inscrites au registre du commerce avec des créances de droit public feront désormais l’objet de poursuites par voie de faillite pour les dettes de droit public dès le 1er janvier 2025, comme c’est d’ailleurs déjà le cas pour les créances de droit privé.

Les nouvelles dispositions concernent-elles uniquement les nouvelles créances ou également les créances passées (effet rétroactif) ?
Dès l’entrée en vigueur de cette loi, les créances courantes et anciennes, y compris les actes de défaut de biens (ADB) relancés, qui feront l’objet d’une poursuite, seront concernées par ces nouvelles dispositions (par exemple une créance d’octobre 2024 ou un ADB de 2020 qui feraient l’objet de poursuite en 2025).

À noter que la créance constatée par un ADB se prescrit par 20 ans à compter de sa délivrance (art. 149a al. 1 LP).

Il importe donc que les personnes morales et les personnes physiques inscrites au registre du commerce assainissent leur situation financière d’ici le 31 décembre ou trouvent des arrangements avec leur(s) créancier(s) pour éviter une faillite.

Concrètement, que doivent faire les entreprises concernées avec des créances de droit public ?
Dans le meilleur des cas, il faut évidemment régler tous les arriérés d’ici cette échéance de fin d’année. Si cela n’est pas possible, il leur appartient de prendre directement contact avec leur(s) créancier(s), éventuellement avec l’aide d’une fiduciaire, afin de trouver des arrangements, tel que par exemple un plan de paiement pour échelonner la dette. Si aucune solution n’est trouvée, l’office des poursuites ne pourra pas déroger aux délais impératifs prévus par la loi, soit une sommation de payer dans les vingt jours le montant de la dette et les frais dès la notification du commandement de payer (art. 69 al. 2 ch. 2 LP) ou de la commination de faillite (art. 160 al. 1 ch. 3 LP) qui pourrait s’ensuivre. Il convient de préciser que l’office n’agira évidemment que sur la requête d’un créancier.

Pour quelle raison les dettes publiques ont-elles été soumises à un régime d’exception jusqu’en 2025 ?
Cette particularité, parfois évoquée sous les termes de « privilège du prince », a été prévue dès l’entrée en vigueur de la LP le 1er janvier 1892. Cette exception découlait du fait qu’à l’époque, beaucoup d’entreprises devaient affronter, directement (agriculture) ou indirectement (fournisseurs), des aléas climatiques avec parfois de très mauvaises années. Elles étaient ainsi préservées de la faillite, au moins pour les créances de droit public, en attendant des jours meilleurs. Aujourd’hui, cette singularité n’a plus lieu d’être pour assurer une égalité de traitement entre les différents créanciers publics et privés. Cette modification vise également et surtout à éviter une distorsion de concurrence entre les entreprises qui s’acquittent régulièrement de leurs dettes publiques et celles qui ne le font pas ou très irrégulièrement.
 

Est-ce qu’il restera, après janvier 2025, des créances de droit public soumises au régime d’exception, c’est-à-dire à la poursuite par voie de saisie ?
Oui, deux exceptions restent prévues (art. 43 LP) pour :
Ch. 2.    le recouvrement de contributions périodiques d’entretien et d’aliments découlant du droit de la famille ou de contributions d’entretien découlant de la loi du 18 juin 2004 sur le partenariat ;    
(par exemple des arriérés de pension alimentaire)
Ch. 3.    la constitution de sûretés.    
(par exemple des garanties financières prévues contractuellement)

Le risque de faillite pèsera donc sur toute entreprise ne parvenant pas à honorer simultanément ses factures de droit public et de droit privé par manque temporaire de liquidités ?
En effet, pour des factures de droit public ou/et de droit privé impayées, après la notification d’un commandement de payer suivi d’une commination de faillite, il y aura un risque réel de faillite pour l’entreprise, d’où la nécessité de trouver préalablement des arrangements avec son ou ses créanciers.

Comment ont été informés les débiteurs concernés?
Pour annoncer l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi au 1er janvier 2025, le Conseil fédéral a communiqué par voie de presse, le 25 octobre 2023. Suite à cela, tous les acteurs étatiques et paraétatiques se sont réunis le 31 janvier 2024, afin de définir la meilleure stratégie d’information pour en atténuer les effets sur le tissu économique régional. Malgré la faible marge de manœuvre des principaux créanciers de droit public du canton, les différentes instances présentes ont choisi de cibler individuellement la communication à destination des entreprises identifiées comme potentiellement concernées par ces nouvelles dispositions. Suite à ces investigations, l’office des poursuites, notamment, a déjà adressé plusieurs centaines de courriers d’avertissement à ces débiteurs. 

Quelles sont les conditions à réunir pour la prononciation de la faillite d’une entreprise par un juge ?
Lorsqu’un créancier dépose une requête de faillite auprès du Tribunal régional compétent, pour autant que le débiteur ne justifie pas du paiement intégral de la dette, intérêts et frais compris, le juge n’examinera que la question du for, de l’inscription au registre du commerce et du respect des délais prévus par le commandement de payer, ainsi que ceux de la commination de faillite. Si ces conditions formelles sont respectées, le juge prononcera la faillite. Le jugement sera rendu lors d’une audience à laquelle débiteur et créanciers auront préalablement été cités à comparaître, et ce même si le débiteur ne s’y présente pas.

Combien d’entreprises avec des dettes publiques sont-elles concernées par l’abrogation?
À ce stade, comme de nombreux créanciers sont impliqués, il est difficile d’estimer précisément le nombre de ces PME. On peut toutefois craindre que plusieurs centaines de débiteurs soient concernés dans notre canton.

À combien estimez-vous les montants annuels perdus dans le Canton de Neuchâtel par des usages abusifs de faillites ?
En moyenne, sur ces 10 dernières années, l’office des faillites de notre canton a constaté des pertes résultant des procédures clôturées d’environ 45 millions de francs par an. Il n’est malheureusement pas possible de déterminer quelle part de ces sommes peut être imputée à un usage abusif de la faillite ou résulte d’agissements frauduleux. Nous pouvons quand même préciser que cet office détecte régulièrement des infractions qui sont, dans notre canton, déjà systématiquement dénoncées au Ministère public. Plus d’une vingtaine de cas par an font ainsi l’objet d’une enquête plus approfondie. Ce devoir de communication aux autorités de poursuite pénale sera aussi ancré dans la loi dès le 1er janvier 2025 (art. 11 al. 2 et 3 LP).

À qui peuvent s’adresser les entreprises qui auraient des questions ?
Elles peuvent sans autre s’adresser par courriel au Service des poursuites et faillites: SEPF@ne.ch

Autres liens utiles

 

Thierry Marchand, chef du service des poursuites et faillites

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