Prévoyance vieillesse : on tricote et on détricote

  • Main d'oeuvre et compétivité

Le 24 septembre 2017, le projet Prévoyance vieillesse 2020 était rejeté par 52.7% des votants. La réforme avait pour but de garantir les rentes (LPP) et d’adapter la prévoyance vieillesse (AVS) à l’évolution de la société. Suite à ce refus, il a paru judicieux de ne plus mêler les deux paquets et de réformer de manière isolée l’AVS et la LPP. C’est ainsi que le 25 septembre 2022, le peuple et les cantons ont accepté la réforme AVS 21 à 50,6% pour assurer un financement suffisant de l’AVS jusqu’à l’horizon 2030 (notamment grâce à une augmentation de la TVA), avec au passage un relèvement de l’âge de la retraite (âge de référence) des femmes à 65 ans et un départ à la retraite « flexibilisable ».

Le 22 septembre prochain (décidément le mois de septembre se prête aux votations sur la prévoyance), les Suisses se détermineront sur la réforme LPP, dont le référendum a été lancé par la gauche et les syndicats.

Dans cet article nous rappelons les bases de la LPP, nous décryptons les enjeux, nous dressons les grandes lignes de la réforme et présentons ses effets. Enfin, nous tendons le micro à Marco Taddei, Responsable romand de l’Union patronale suisse, qui répond du tac au tac aux arguments avancés par les opposants.

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    La LPP est un système d'épargne obligatoire visant à garantir le maintien du niveau de vie des travailleurs après leur retraite, également en cas d'invalidité ou de décès. La LPP est financée par les cotisations des employeurs et des employés, ainsi que par les rendements des placements des caisses de pension. Pour le personnel d'une entreprise, la LPP permet de compléter les prestations du premier pilier (AVS/AI), favorise la fidélisation et la motivation des employés qui bénéficient d'un avantage social et d'une perspective de retraite confortable. Pour les assurés, la LPP donne la possibilité de choisir entre différentes options de retraite, comme le versement d'une rente ou d'un capital, ou le rachat d'années de cotisation. Introduite en 1985, la LPP fait l’objet de blocages depuis plus de 20 ans.

    La LPP fait face à des défis importants. Le vieillissement de la population entraîne une augmentation du nombre de retraités, qui vivent plus longtemps. Les fluctuations des marchés financiers, de plus en plus volatils et incertains, affectent le rendement et la sécurité des placements des fonds de pension, qui doivent trouver le bon équilibre entre prudence et rentabilité. L'évolution du marché du travail, marquée notamment par la mobilité et la flexibilité impose aux caisses de pension (mais aussi aux entreprises) une capacité d’adaptation toujours plus élevée.

    Tous sont unanimes: il faut réformer la LPP. Suite à l’échec du projet Prévoyance 2020, en 2019, les syndicats et les patrons se sont accordés sur un modèle pour assainir et moderniser le 2ème  pilier. Le 17 mars 2023, le projet remodelé de la LPP a été accepté par le Parlement. Ses 5 principaux éléments sont les suivants: 

    1. Le taux de conversion minimal en prévoyance professionnelle obligatoire passe de 6.8 à 6.0%. Cette mesure est indispensable à la stabilisation financière de la prévoyance professionnelle.
    2. Les personnes de plus de 55 ans voient leur pourcentage de cotisation dans la caisse de pension se réduire (ce qui renforce leur situation sur le marché de l’emploi), celui des jeunes augmente légèrement (ce qui leur permet de mettre plus d’argent de côté sur leur compte LPP). A l’avenir, la bonification de vieillesse s’élèvera à 9% du salaire soumis à la LPP pour les personnes assurées de 25 à 44 ans et à 14% pour celles de 45 à 65 ans (aujourd’hui 25-34 ans: 7% | 35-44 ans: 10% | 45-54 ans : 15% | 54-65 ans : 18%).
    3. Le seuil d’entrée (salaire annuel minimal à partir duquel la prévoyance professionnelle est obligatoire) est abaissé. Il est ramené à 19’845 francs contre 22’050 francs aujourd’hui. Cette mesure permet à davantage de personnes de se constituer un 2ème pilier.
    4. La part du salaire assuré par la LPP augmente et se fait en fonction du salaire (80% du salaire), alors qu’aujourd’hui un montant fixe est déduit du salaire. Cela contribue à l’amélioration du niveau des prestations selon la LPP pour les revenus faibles à moyens et pour les personnes travaillant à temps partiel.
    5. Les personnes actives amenées à prendre leur retraite dans les premières années suivant l'entrée en vigueur de la réforme (la génération dite transitoire) obtiennent un supplément de rente en fonction de leur année de naissance et de leurs avoirs de prévoyance. 
    • 85% des assurés ne sont pas concernés par la baisse du taux de conversion
    • 100'000 revenus supplémentaires seront assurés dans la LPP
    • 275'000 femmes et 84'000 hommes auront une retraite plus élevée


    Les partisans de la réforme saluent le fait que le taux de conversion légal sur la part obligatoire de l’avoir de vieillesse passe à 6%, un pourcentage  qui restera néanmoins bien plus élevé que les pourcentages usuels pratiqués par les caisses de pension sur la partie surobligatoire. Selon le  VermögensZentrum (www.vermoegenszentrum.ch/fr), de nombreuses caisses de pension appliquent un taux de conversion  entre 5 et 5,5% sur la partie surobligatoire et certaines pratiquent même un taux plus faible. Aujourd’hui, le taux de conversion légal de 6.8% - trop élevé - entraîne une redistribution des avoirs de prévoyance des assurés actifs aux retraités et de la partie surobligatoire à la partie obligatoire. Les salariés aux revenus confortables en font donc principalement les frais.

    Un autre argument en faveur de la réforme ressort : la réforme LPP représente une réponse pour résoudre le problème criard de pénurie de main-d’œuvre (d’ici 2030, 500'000 à 700'000 forces de travail devraient venir à manquer). En effet, la réforme discrimine moins les seniors par rapport aux plus jeunes quant à leurs coûts liés à la LPP. En outre, elle permet aux salaires plus bas (salaires à temps partiel, notamment les  femmes qui représentent 72.1% des personnes occupées à temps partiel) d’entrer dans le système de la LPP. Ces améliorations sociales devraient ainsi idéalement rimer avec un accroissement de la main-d’œuvre disponible sur le marché. 

    On dit que... les assurés payeront plus pour une rente moins élevée.    

    Réponse de Marco Taddei: De nombreux assurés sont couverts par une assurance surobligatoire. Pour eux, les taux de conversion ont déjà été adaptés à l'augmentation de l'espérance de vie. Ces quelque 85% d'assurés ne sont pas concernés par la réforme en cours. L'autre point important de la réforme est qu'elle profite aux personnes travaillant à temps partiel et aux bas salaires. Parmi elles, un très grand nombre de femmes.

    On dit que... la réforme entraîne des inégalités de traitement entre les assurés.    

    Réponse de Marco Taddei: C'est le contraire qui se produit. Dans la prévoyance professionnelle, chacun épargne pour soi. Les cotisations arrivent sur son propre compte et sont au moins doublées par l'employeur. De plus, les intérêts font fructifier le capital. Jusqu'à la fin de la carrière professionnelle, les cotisations versées par les salariés sont en général triplées. Cela signifie que la LPP est une bonne affaire pour les salariés.


    On dit que... les suppléments de rente pour la génération transitoire sont inéquitables, arbitraires et farfelus.

    Réponse de Marco Taddei: C'est faux. Environ 50% de la génération de transition reçoivent des suppléments de rente. Tous ceux qui ont des rentes relativement basses y ont droit. Au total, bien plus de travailleurs reçoivent des compensations que ceux qui sont effectivement concernés par la baisse du taux de conversion dans la LPP obligatoire. Cela se justifie par le fait que la génération transitoire a déjà été touchée par la baisse du taux de conversion dans les assurances surobligatoires.

    Certains reçoivent un supplément supérieur à leur perte de rente, tandis que pour d'autres, le supplément ne suffit pas à couvrir les déficits. Les subsides de pension ne dépendent pas du revenu, mais du capital épargné. De plus, les subventions aux rentes sont très généreuses. Environ 50% des travailleurs de la génération de transition reçoivent un supplément de rente. Les femmes sont particulièrement nombreuses à en profiter: au total, environ 75% de toutes les femmes de la génération de transition (plus de 50 ans) qui perçoivent désormais une rente de vieillesse reçoivent un supplément de rente grâce à la réforme.


    On dit que... le 22 septembre, les votants devront voter sans connaître l'impact de leur vote.

    Réponse de Marco Taddei: Ce n'est pas vrai. En votant pour le oui à la réforme de la LPP, les électeurs choisissent de moderniser le deuxième pilier. De nombreuses personnes travaillant à temps partiel ou à employeurs multiples en profiteront, notamment de nombreuses femmes y seront mieux assurées. En outre, la réforme renforce le système des trois piliers.

    On dit que... la réforme crée un monstre bureaucratique inutile.

    Réponse de Marco Taddei:  C'est faux. La réforme modernise bien plus la LPP et l'adapte aux conditions de la société. Comme nous l'avons mentionné, 85% des assurés ne sont pas concernés par la modification du taux de conversion. En revanche, la réforme crée une meilleure équité pour les personnes travaillant à temps partiel, en particulier les femmes. Environ 100’000 revenus seraient désormais assurés - également contre l'invalidité et le décès.

    On dit que... l'erreur de calcul pour l'AVS de 4 milliards affectera le vote sur la LPP.    

    Réponse de Marco Taddei: Les erreurs de calcul de l'OFAS concernent l'AVS, c'est-à-dire le premier pilier. Il faut clairement séparer cela de la votation sur la réforme de la LPP, c'est-à-dire du deuxième pilier. Ces deux piliers sont autonomes, ce qui est logique pour une prévoyance vieillesse durable et orientée vers l'avenir.

    On dit qu'... il vaut mieux remettre l’ouvrage sur le métier.    

    Réponse de Marco Taddei: La réforme de la LPP est un bon compromis. Au final, le compte est bon. La réforme de la LPP a un coût, mais elle en vaut aussi la peine: 

    • Les personnes travaillant à temps partiel et celles qui ont des bas salaires sont mieux assurées. De nombreuses femmes en profiteront. 
    • Vous épargnez votre propre capital retraite et profitez des cotisations de l'employeur et des intérêts. 
    • L'équité entre les générations est renforcée.

    economiesuisse, l’usam, l’Union patronale suisse, la société suisse des entrepreneurs et swissmem soutiennent la réforme de la LPP. Au niveau neuchâtelois, la CNCI et l’UNAM, également. Du côté politique, les Verts’libéraux, le PLR, le Centre et l’UDC soutiennent cette réforme.

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